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"La prise en charge précoce améliore radicalement le pronostic"

Pr KrebsMarie-Odile Krebs est professeur de psychiatrie à l’Université Paris Descartes, chef de service au centre hospitalier Sainte-Anne, responsable du laboratoire Physiopathologie des maladies psychiatriques au centre de Psychiatrie et Neurosciences de l'Inserm. Elle est aussi coordinatrice de l'Institut de psychiatrie. Elle a mis en place le C'JAAD, le centre d'évaluation de l'adolescent et l'adulte jeune ainsi que le premier programme de détection précoce en France.
Elle a écrit en 2016 un livre sur "Les signes précoces de schizophrénie", signes dont la détection constitue l'un de ses champs de recherche depuis une quinzaine d'années.

Interview réalisé en mai 2017 par Jean-Bernard Gallois, journaliste.

 

L'essentiel de l'entretien en vidéo

Video Marie Odile Krebs total



De quel âge parle-t-on pour une détection précoce ?

Les troubles schizophréniques débutent le plus souvent entre 15-25 ans, certaines formes rares peuvant débuter encore plus tôt. Pour pouvoir intervenir très rapidement lors du premier épisode psychotique, la détection précoce s’intéresse à identifier et suivre les personnes qui risquent de développer un trouble psychotique dans un futur proche (on parle d’ « état mental à risque »), en repérant les premiers symptômes (parfois dits symptômes prodromiques). Il existe des outils pour faciliter le repérage des tout premiers symptômes et déterminer si la personne répond aux critères d’état mental à risque ou bien si le seuil de psychose est atteint, nécessitant l’initiation d’un antipsychotique. Un point important est d’adapter le parcours de soins aux tranches d’âge de 15 à 25 ans. Il est tout aussi important de retenir que les personnes  « à risque » n’évoluent pour la plupart pas vers un épisode psychotique (environ un tiers seulement).


Pourquoi la prise en charge précoce est-elle aussi cruciale ?



Il est essentiel d’agir rapidement, dès les premiers symptômes pour tenter d’éviter l’évolution vers un véritable épisode psychotique ou, lorsque la maladie est déjà présente, pour éviter sa chronicisation et limiter les conséquences et les souffrances associées. Intervenir tôt améliore le pronostic. C’est vrai sur le plan médical (meilleure réponse au traitement, meilleure rémission), et c’est vrai sur le plan social (qualité du rétablissement, capacité à reprendre les études et s’insérer ou se réinsérer sur le plan professionnel).


Les médicaments sont-ils indispensables lors d'une prise en charge précoce ?




Où en est la France dans la détection précoce des troubles schizophréniques ?

La France a accumulé un certain retard dans la mise en place de programmes dédiés à l’intervention précoce et le délai des soins lors d’un premier épisode psychotique est considérable, entre 1 à 2 ans, pendant lesquels les troubles s’installent et la personne se met en marge de ses études, de sa vie sociale ou professionnelle.  Ceci est en partie dû au fait que le système de soin psychiatrique est orienté vers les patients souffrant de troubles chroniques, autour du secteur, et du manque de passerelles entre la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et celle de l’adulte. Néanmoins, quelques initiatives voient le jour et certaines équipes développent des consultations spécialisées, comme le Centre d’Evaluation pour Jeunes Adultes et Adolescents (C ‘JAAD) dans notre service. Depuis dix ans, nous avons initié le réseau « Transition » pour promouvoir la prévention et l’intervention précoce et mis en place un diplôme universitaire à l’Université Paris Descartes avec mes collègues Guy Gozlan et Julie Bourgin-Duchesnay. Un nombre croissant de professionnels se forme grâce à ce diplôme ou auprès d’homologues étrangers qui ont initié ce domaine. Une dynamique est en train d‘éclore.

Vous parlez de parcours de soins, comment tout cela doit s’organiser ?

Il n’y a pas de modèle unique et chaque équipe doit s’efforcer de capitaliser sur les partenaires de proximité et réunir la masse critique capable de proposer une offre spécialisée complète, adaptée à ces stades précoces des troubles. L’accès aux soins est encore trop tardif et l’on pourrait faire mieux en révisant l’offre de soins dans cette perspective. Il faut en particulier rendre plus attractifs et moins stigmatisants les lieux de soins de façon à inciter les jeunes à venir consulter et accepter d’être aidé et accompagné et améliorer la coordination entre partenaires.


Comment faire pour que les gens viennent à vous ?

Il faut informer et faire passer une notion simple qui existe dans beaucoup de maladies sévères : plus on agit tôt, meilleure est l’évolution. C’est le cas dans le domaine cancer : un cancer pris à temps a un traitement plus léger et un pronostic sans équivalent par rapport à un cancer soigné trop tardivement. C’est aussi vrai pour le diabète et nombre d’autres maladies.

Faciliter l’accès aux soins permet de soigner plus tôt et d’améliorer le pronostic. L’expérience des programmes à l’étranger montrent que prendre en charge les jeunes dès les premiers symptômes, au stade d’état mental à risque, pourrait permettre d’enrayer la progression de la maladie et d’éviter le premier épisode.


Si vous aviez un message à faire passer aux familles, c’est de dire : si vous voyez des premiers signes…

Il ne faut pas attendre, il faut consulter. Il ne s’agit pas de chercher de l’aide à la moindre idée ou impression bizarre, mais il faut être vigilant dès que se manifestent des difficultés à l’école, au travail, ou en famille, dès que l’isolement se fait sentir, que s’installe un désintérêt généralisé, scolaire, vis à vis des loisirs ou des amis, qu’apparaissent un changement de caractère, irritabilité. Ces signes reflètent une souffrance psychique qui doit inciter le jeune à consulter. Souvent, ce n’est pas grand-chose, mais dans certains cas, cela nécessite que l’on débute une prise en charge.


Comment devrait-on intervenir ?

Les soins passent tout d’abord par une évaluation multi-disciplinaire permettant de définir la prise en charge intégrant approches médicales (y compris la recherche de causes somatiques) et un accompagnement psycho-social privilégiant l’intervention dans le milieu.

L’intervention précoce va viser les facteurs aggravants : traiter une dépression présente, lutter activement contre une consommation de cannabis, aider à la gestion du stress, diminuer le stress social chez les jeunes présentant des troubles du spectre autistique, toutes ces mesures pourraient limiter le risque d’évolution vers une psychose chronique.  Ainsi, sont indiquées les techniques de thérapies cognitives et comportementales, selon les cas visant la gestion du stress, la motivation, l’entrainement aux habiletés sociales, les symptômes positifs ou négatifs. La psychoéducation est essentielle. La prise en charge se complète selon les cas de remédiation cognitive, d’une approche psycho-pédagogique, de réinsertion ou d’une prise en charge familiale. Plus que tout,  c’est un accompagnement qu’il faudrait pouvoir proposer, pour agir sur tous les facteurs aggravants, aider à l’engagement dans les soins et accompagner vers le rétablissement. C’est le but du « gestionnaire de cas » (case management) encore trop peu développé en France et dont l’accès est associé à une reconnaissance MDPH (maison départementale des personnes handicapées).

Ces mesures devraient toute pouvoir être proposées aux jeunes présentant une psychose débutante, y compris en complément d’un traitement antipsychotique lorsque le premier épisode est là.


Existe-t-il des traitements spécifiques pour éviter ou limiter la progression de la maladie ?

Environ 3% des épisodes psychotiques seraient associés à un trouble « médical » : métabolique, génétique, neurologique. Certains justifient un traitement spécifique parfois curatif.  On peut citer le déficit en folate ou l’augmentation de l’homocystéine qui peuvent être corrigés par un complément en folate, ou encore la maladie de Wilson, rare, mais qui bénéficie d’un traitement spécifique curatif.

Il reste beaucoup d’inconnues sur les mécanismes de l’émergence de la psychose, mais nous avons montré, pour la première fois, que l’émergence de la psychose est associée à des modifications «épigénétiques » dans des systèmes biologiques associés à la plasticité cérébrale, l’inflammation et la balance oxydative. On connaît aussi le rôle précipitant du cannabis. Ces résultats ouvrent de nouvelles perspectives thérapeutiques.


Si je vous comprends bien, on a un faisceau de symptômes liés à la psychose que vous traitez en parallèle…

Il s’agit effectivement d’une prise en charge intégrée multi-disciplinaire. Les troubles psychotiques, et notamment les troubles schizophréniques sont très hétérogènes, reflétant des causes diverses et multi-factorielles. D’où la nécessité d’une évaluation détaillée et de personnaliser les soins, pour faire du « sur-mesure » et agir sur tous les aspects sur lesquels on peut agir. L’objectif est à la fois de proposer un traitement médical adapté mais aussi de rétablir le jeune dans son parcours de vie en minimisant l’impact de la maladie et des soins, notamment en limitant la stigmatisation.


Est-ce que les médicaments sont indispensables lors de cette prise en charge précoce ?

Les médicaments antipsychotiques sont indispensables lorsque les symptômes ont atteint un certain niveau d’intensité et de fréquence et dépasse le « seuil de psychose ». La réponse étant meilleure à ce stade, les doses initiales sont moins importantes qu’à des stades plus tardifs.

Avant le premier épisode, lorsqu’il n’existe que quelques symptômes psychotiques atténués  ou transitoires, les médicaments peuvent être aussi utiles mais généralement pas les antipsychotiques, en dehors de situations particulières. En effet, à ce stade, un tiers seulement des personnes évolueront vers une psychose et les études préconisent les antidépresseurs s’il existe une dépression, ou les thymo-régulateurs s’il existe des arguments pour un trouble bipolaire débutant.

Qu’il y ait ou non nécessité de médicaments, une prise en charge, telle que décrite précédemment, doit être proposée avant même qu’on puisse poser un diagnostic formel. En effet, la spécificité des tableaux à ces stades précoces est assez faible et ne permet pas d’affirmer un diagnostic  (schizophrénie, troubles bipolaires etc.) et d’autant que les symptômes peuvent être transitoires. Cette situation paradoxale peut gêner certains professionnels : on propose des prises en charge thérapeutiques sur la base d’une évaluation de stade évolutif et des facteurs de risques identifiés, avant d’avoir un diagnostic.


Un point important sur lequel vous insistez, c’est la famille. Faut-il également une psycho-éducation, une thérapie familiale, une écoute par rapport aux parents, aux frères et aux sœurs ?

Absolument. La famille a un rôle central. Nous avons fait un sondage avec la fondation Denicker l’année dernière. Nous avions demandé à des jeunes : « Vers qui vous vous tournez si vous aviez des problèmes ? » Les parents et amis sont les premières réponses, suivi par le médecin généraliste en troisième intention. Les premiers témoins du changement, ce sont aussi les parents et sont souvent le principal support. Des programmes de psychoéducation spécifiques pour les parents dont l’enfant (jeune ou moins jeune) présente un trouble psychotique débutant seront bientôt disponibles, à proposer en parallèle de la psychoéducation du jeune (programme iCARE - YouCARE). Une thérapie familiale peut parfois être utile.


Que faire si des parents craignent que leur enfant présente un trouble psychotique débutant ?

Il ne s’agit pas de s’affoler, il ne s’agit pas d’avoir peur. Il s’agit de faire ce qu’il faut quand il faut, à savoir prendre contact avec une équipe médicale pour qu’il y ait une vraie évaluation, de préférence auprès d’une des équipes engagées dans l’intervention précoce. Parfois les symptômes sont bien présents mais fugaces.


Quels sont les centres développant l’intervention précoce ? Existe-t-il une carte des initiatives pour l’intervention précoce ?

C’est en cours. Une dizaine de centres ont débuté cette démarche. Dans notre service, à Sainte-Anne, le C’JAAD a été le premier, dès 2003. Il existe aussi une équipe à Caen, qui travaille sur le premier épisode ou à Brest qui travaillait initialement sur le suicide chez les adolescents. Le réseau Transition cherche à promouvoir un réseau de centres d’intervention précoce, développant des programmes similaires, pour rattraper le retard français et faciliter l’émergence de nouveaux centres. Il faut auparavant homogénéiser les pratiques et élaborer un cahier des charges minimal pour s’assurer de la valeur qualitative de l’offre de soin proposée, à  l’instar de la démarche adoptée dans les pays qui ont développé ces programmes à l’échelle nationale. Ces ressources documentaires seront disponibles sur un site de l’institut de psychiatrie (www.institutdepsychiatrie.org/transition).


Quelle a été votre motivation pour vous intéresser à l’intervention précoce ?

Les travaux de recherche que j’ai menés m’ont permis de mesurer la fréquence des troubles du neuro-développement chez les patients souffrant de schizophrénie et leur poids sur l’évolution, la présentation clinique, les besoins de prise en charge. L’analyse des parcours, montraient que des symptômes auraient pu être repérés et pris en charge deux, cinq parfois dix ans avant le premier épisode de la maladie. Quand on sait l’impact d’un premier épisode (désinsertion, échec dans les études, consommation de toxiques, prises de risques….), la question qui vient à l’esprit est bien sûr « pourquoi n’a-t-on pas agi plus tôt ? ». Cette constatation m’a donné envie d’adapter au système français et ce qui se faisait ailleurs. L’Australien Patrick McGorry, véritable pionnier du domaine  dit que son inspiration est sur les premiers épisodes, menée par Häfner montrant  que 75% des patients présentent des signes prodromiques en moyenne durant 4 à 5 ans avant.

McGorry a été le premier à proposer un outil pour évaluer les symptômes prodromiques et à proposer de nouvelles modalités de prises en charge, prenant en compte la notion de stade et de risque évolutif. J’ai rapidement eu la possibilité de traduire la CAARMS de McGorry en français.

 

Vous vous reconnaissiez dans son approche de la maladie ?

Oui, il y a une philosophie autour de ces prises en charge que je trouve pertinente pour deux raisons. La première est qu’elle insiste sur l’individu au delà de maladie. Il ne faut en effet pas oublier que ce sont des jeunes, à un moment clef de leur vie et, qu’il faut proposer des programmes qui ne vont pas les rebuter ou les stigmatiser, qui utilisent leurs modes de communication et doivent s’adapter à leur situation personnelle, pour les accompagner dans leur rétablissement.

La seconde raison est l’introduction, pour les personnes présentant des symptômes atténués,  de la notion de risque, plutôt que de parler prodromes qui suggère une évolution inéluctable vers la psychose alors même qu’une majorité des jeunes répondant aux critères de sujet « à risque » évolueront vers la maladie. Comprendre que l’évolution n’est pas une fatalité et qu’on peut faire quelque chose change radicalement la donne. C’est vrai avant le premier épisode, pour limiter le risque d’épisode psychotique, mais aussi après, pour faire en sorte que le premier épisode soit le dernier, et remettre très vite les gens en capacité de reprendre les études et limiter la rupture vis-à-vis des études, du milieu familial ou social.

C’est un message important et qui appelle au développement d’indispensables recherches pour identifier de nouvelles stratégies thérapeutiques à visée curative, telles celles menées au sein de notre équipe et du réseau transition.

L’intervention précoce est une opportunité exceptionnelle de pouvoir limiter la progression vers la maladie ou vers sa chronicisation et changer le regard sur la schizophrénie.

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