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Nicolas Franck petiteJosselin Houenou est psychiatre au CHU Henri Mondor de Créteil, et Professeur des Universités.

Il est également chercheur à l’INSERM ainsi qu’à NeuroSpin, centre de recherche pour l'innovation en imagerie cérébrale dirigé par Stanislas Dehaene.

Interview réalisée en janvier 2020 

L'interview de Josselin Houenou en bref et en vidéo



Quel est votre domaine de recherche ?

Je suis psychiatre et j'utilise les technologies des neurosciences pour étudier la psychiatrie, ici à NeuroSpin, qui est un centre de recherche sur le cerveau. Nous utilisons la neuro imagerie et en particulier l’IRM cérébrale pour étudier l’anatomie et le fonctionnement du cerveau normal ou dans le cadre de pathologie.

Pourquoi avez-vous choisi cette spécialisation ?

Parce qu’en tant que psychiatre, j'annonce à des patients des diagnostics de schizophrénie, et qu’ils vont devoir avoir tel ou tel traitement. Mais si le patient me demande ce qu'est la schizophrénie, ou comment marche le traitement, je suis très embêté pour répondre, parce que ce sont des maladies qu'on ne comprend pas très bien. Je me dis qu'il faut chercher à mieux comprendre la maladie et à pouvoir mieux caractériser et développer de nouveaux traitements.

Qu’apporte l’imagerie ? La schizophrénie se voit-elle à l’imagerie ?

Si un patient passe une IRM classique, le radiologue qui regarde à l'œil nu ne verra aucune anomalie et son compte-rendu indiquera que l’IRM cérébrale est normale. Mais à NeurosSpin, on fait partie d'un consortium international et on a les images de 3000 patients. C'est beaucoup, même si ce n’est pas beaucoup au vu de la fréquence de la maladie - c'est lourd et c'est cher d’organiser ces IRM où les patients restent entre 1h et 1h30. Mais avec ces techniques informatiques et ces IRM détaillées, oui, on observe des anomalies.

Que voyez-vous précisément comme anomalies dans le cerveau ?

Comme les patients ont beaucoup de troubles cognitifs, la plupart des recherches au début se sont intéressées au cortex préfrontal. Sauf que quand on regarde le cerveau, on se rend compte que ce n'est pas une zone du cerveau mais c'est sûrement un réseau qui est altéré.
Pour mieux comprendre la maladie, on s'est intéressé à deux domaines, deux parties du cerveau. L’une est la substance blanche, les voies de communication entre les différentes aires cérébrales. Beaucoup d’équipes ont identifié des anomalies de communication, une dysconnectivité, entre les différentes aires du cerveau chez les patients atteints de schizophrénie, qui serait corrélée avec les symptômes cognitifs, déficitaires, de motivation. Si l'on regarde comment les différentes aires du cerveau communiquent entre elles, comment elles sont synchronisées : est-ce qu'elles sont activées en même temps, est-ce que l'une est activée pile avant l'autre comme ça doit être le cas ? Eh bien, ça fonctionne moins bien chez les patients.

En dehors de la substance blanche, quelle autre partie du cerveau vous intéresse ?

On s'est intéressé, grâce à des études sur les rongeurs, à une toute petite partie du cerveau, qui s'appelle le cervelet, qui est à la base du cerveau. On pensait jusqu'à il n'y a pas très longtemps, que le cervelet servait surtout à la coordination motrice. Mais si l'on se compare avec les grands singes, on parle du cortex préfrontal qui est développé, mais l'autre région qui s'est plus développée chez l'homme  est le cervelet. On s'est rendu compte qu'en fait, cette zone du cerveau avait un rôle important dans tout ce qui est capacité cognitive, cognition sociales, d'interaction avec les autres. On a fait quelques études en collaboration avec beaucoup d'équipes pour étudier le volume du cervelet chez différents patients atteints de schizophrénie. On a pu montrer que dans une zone qui est censée être responsable de la cognition et la cognition sociale, il y avait une diminution dans cette zone-là pour les patients atteints de schizophrénie. On sait que le cervelet est un petit endroit qui est connecté à tout le reste du cerveau, en particulier au cortex frontal. Ce qu'on vise en vrai, ce sont les connections du cervelet avec le cortex frontal.

Les différences qu'on observe ne sont-elles pas liées au traitement antipsychotique?

C’est une vraie question. Les différences entre le groupe des patients et un groupe contrôle peuvent être liées à la maladie, ou bien au traitement, ou encore à d’autres facteurs : au cannabis, au fait d'être désocialisé etc. Et c'est sûr que les traitements ont une influence sur l'anatomie du cerveau, on peut le montrer sur les rongeurs.
Mais on a des éléments pour dire que les anomalies existent dès le début de la maladie. Avec les techniques d'apprentissage automatique, le machine learning, on apprend à l’ordinateur à classer automatiquement les IRM - pour l'ordinateur, l’IRM, c'est des chiffres. On a fait une étude où on avait inclus 400 patients atteints de schizophrénie et 400 sujets contrôles. On a demandé à l'ordinateur d'apprendre les différences pour essayer de classer les patients. Pour le moment, il arrive 3 fois sur 4 à dire si c'est un patient ou pas. Une équipe en République Tchèque a scanné une centaine de patients au premier épisode, avant la prise d’un traitement. L'algorithme arrivait aussi bien à classer les patients au premier épisode que les patients qui prennent le traitement depuis  longtemps. Cela tendrait à dire que c'est plutôt la maladie que le traitement : l'ordinateur, quand il prend la décision de classer en patient/pas patient utilise quelque chose qui est déjà présent au début de la maladie.
D’autre part, d'autres équipes, pas mal aux Etats-Unis, et aussi à Sainte-Anne, qui ont suivi des jeunes à risque de schizophrénie ont pu montrer également avant le premier épisode des diminutions de volumes chez les sujets à risque.

D’où proviennent selon vous ces anomalies du fonctionnement cérébral dans la schizophrénie ?

C’est sûr qu’il y a un fondement biologique dans la maladie qui se voit dans le cerveau. Mais d'où il vient... ? On essaie de comprendre, on sait qu'il y a une participation génétique et environnementale. Pour la schizophrénie, c'est compliqué à étudier à cause du délai. Si on tombe malade à 15 ans, qu'est-ce qui s'est passé avant ? pendant la grossesse ?
La recherche est très compartimentée. On travaille un peu avec la génétique, parce que c'est un domaine un peu plus ancien, où les connaissances sont un peu plus stables. On essaie d'étudier et de voir si certaines variations génétiques ont un impact sur l'anatomie ou le fonctionnement du cerveau qui pourraient mimer celles de la schizophrénie. On a quelques résultats. Pour l’immunologie et le microbiote, ce sont des champs de recherche encore trop récents. Il faudra voir.

Quelles applications ces recherches peuvent-elles avoir pour les patients ?

Il y aura probablement une première application en termes de diagnostic et de choix du traitement. Aujourd'hui, pour faire un diagnostic, on a beaucoup moins d'outils que dans toutes les autres spécialités médicales. On le fait uniquement grâce à la clinique, ce qui a l'inconvénient d'être très subjectif. Et puis, on n'a pas d'outil permettant de tenter de prédire si le traitement va marcher ou pas. Au final, on n'a pas d'outils de laboratoire, biologique, d'imagerie.


L’imagerie permettrait-elle d'être prédictif ?

Pour le pronostic, 60% de bonnes réponses de l’ordinateur, cela ne suffit évidemment pas aujourd'hui mais avec l'amélioration des techniques... L'utilisation de l’imagerie pour aider au diagnostic ou dans le domaine de la réponse au traitement, ce sont des domaines qui vont arriver relativement rapidement. Aider à prédire la réponse au traitement, c'est vraiment quelque chose qui devrait pouvoir fonctionner.

Vos recherches débouchent-elles aussi sur de nouveaux traitements ?

Oui. Par exemple, on a un essai clinique où on essaie de développer un nouveau type de traitement par stimulation cérébrale superficielle. On sait, parce qu'il y a des profils différents, que ça ne va pas marcher sur tout le monde. Mais justement on va faire une imagerie avant, puis on va voir qui a bien répondu ou pas au traitement, pour voir si l'imagerie pourrait prédire la bonne ou la mauvaise réponse au traitement.

En quoi consiste ce nouveau traitement ?

Des équipes américaines ont montré que lorsqu'on faisait de la stimulation magnétique du cervelet, cela améliorait certaines capacités cognitives chez les rongeurs. Une équipe américaine a montré en début d'année, sur une tout petite étude que faire la même chose chez des patients atteints de schizophrénie améliorerait certains troubles cognitifs, des symptômes négatifs, des capacités de mémoire et de motivation. Ce n'était pas sur le long terme et dans un seul centre, mais il y a une base théorique à l'appui, avec l'imagerie chez les patients et les modèles animaux...
Chez nous, l'essai clinique va être de faire la même chose mais à plus grande échelle, sur plusieurs centres. Quatre hôpitaux participent : les hôpitaux de Colombes, Versailles, Créteil et de St Denis (Delafontaine). Je pense que c'est important de ne pas avoir que des patients un peu trop triés parce que sinon il y a un biais. Nous souhaitons inclure 100 patients pour cette étude de stimulation par tDCS (stimulation transcrânienne à courant continu).

Concrètement, en quoi consiste ce traitement ?

On fait passer un courant électrique très léger que les gens ne sentent même pas, à la surface du crâne sur 10 séances pendant trois semaines. On sait que cela module un petit peu l'activité électrique du cervelet qui est juste en dessous. Exactement on ne sait pas très bien comment ça marche, mais on sait que cela la modifie. Comme il y a des déficits cognitifs qui seraient liés à la mauvaise activité du cervelet, cela pourrait lutter contre certains symptômes négatifs de la schizophrénie contre lesquels on a très très peu de traitement. Donc on va déjà voir si cela marche.

 

Vous lancez l'étude quand ?

On a eu le financement l'année dernière (2019), donc ce sera dans le courant de l'année. Quasiment tous les patients ont ces symptômes-là, je vous dirai si on a besoin de faire un appel. En tout cas, je pense que cela ne va pas être efficace pour tout le monde. L'idée est d'utiliser l'imagerie au début pour voir si cela permet de classer des personnes qui répondent bien ou pas bien au traitement.
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