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Photo Julie Bourgin 2
Julie Bourgin-Duchesnay est psychiatre à l’hôpital Louis Mourier de Colombes
, dans les Hauts-de-Seine.

Avec une mère neurologue et spécialisée dans l’épilepsie, elle a effectué ses études de médecine à l’Université de Rennes puis à Brest où elle a étudié les causes de suicide chez les jeunes.

Elle est ensuite partie à Paris dans le Service hospitalo-universitaire des Pr Krebs et Pr Gaillard à l’hôpital Sainte-Anne pour effectuer des recherches sur les effets du stress et s’est intéressée à la schizophrénie.

Elle travaille au quotidien sur le repérage de la maladie et anime l’Astrolabe, une structure accueillant les adolescents souffrant de troubles psychiques ouverte à la fin de l’année 2016 dans le service du Pr Caroline Dubertret.



Quels sont les premiers signes visibles de la schizophrénie ?

Déjà le maître-mot c’est : une constellation de symptômes. Ce n’est pas un symptôme unique pris parmi tant d’autres. L’European Psychiatric Association explique bien que ces symptômes doivent être repérés par des psychiatres formés à la détection précoce. Ils concernent les sphères émotionnelle, comportementale et cognitive. Et dans ces trois sphères, ce sont d’abord et avant tout des plaintes anxieuses et de perturbation de l’humeur (thymiques) qui sont au premier plan. On parle de prodromes de schizophrénie mais les premiers signes sont des signes liés à l’humeur.

Concrètement, comment ces signes se traduisent-ils au quotidien ?

Il existe des éléments assez tangibles. Par exemple, si votre enfant ne va plus à l’école, s’exclut tout seul de sa bande de copain, ce sont des signes qui doivent inciter à consulter. Car le job d’un ado, c’est d’aller à l’école et d’avoir des copains. Deuxième point, la chute des résultats scolaires peut être un reflet des perturbations cognitives avec des troubles important de la concentration. Pris isolément, ces troubles de la concentration pourraient faire penser à un Trouble de Déficit de l’Attention ou de l’Hyperactivité (TDAH) ou à une bipolarité.
Mais c’est plus complexe que ça. Des plaintes d’inquiétude et d’irritabilité peuvent apparaître. On peut aussi ajouter un sentiment de méfiance et de bizarrerie du contact, quand vous ne comprenez plus le rationnel derrière le mal-être de votre enfant. Lorsque vous avez l’impression qu’il tient un discours sur le mal-être que vous avez du mal à suivre, qui est un début de rationalisation de phénomènes bizarres avec lesquels l’adolescent est aux prises et qu’il essaie de rationnaliser de façon vaine… « C’est parce que la société est ainsi, parce que les profs sont comme ça… » Le fait de légitimer un début de marginalisation est tout de même inquiétant.

Après avoir observé ces premiers signes, que faire en cas de doute pour mon enfant ?

Je pense qu’il ne faut pas penser à la place du psychiatre. C’est l’erreur commune en psychiatrie. C’est-à-dire qu’il y a souvent l’avis de la tante, de la meilleure copine… Tout cela empêche l’accès aux soins car tout le monde a son avis. L’erreur grave est là. A un moment donné, il faut se référer à un psychiatre. Ce dernier n’a jamais rendu malade !


Comment amener un jeune à consulter ?




N'est-ce pas la honte pour un jeune d'aller voir un psychiatre ?





Vous avez contribué à la création de « l’Espace Transition » à « l’Astrolabe » sur l’hôpital Louis Mourier de Colombes, dans les Hauts-de-Seine. Quel est son rôle ?
L’Espace Transition est la partie « hôpital de jour » de l’Astrolabe qui est le nom de l’unité de psychiatrie de l’adolescent ouverte en septembre 2016 sur le site de l’hôpital Louis Mourier de Colombes. Cet « Espace Transition » permet de faire des évaluations plus globales que de simples consultations et sur un format autre qu’une hospitalisation complète. Nous accueillons des jeunes patients de 12 à 17 ans à la journée. L’adolescent est suivi chez nous, bénéficie d’une évaluation multi-disciplinaire (psychologue, neuropsychologue, ergothérapeute, psychomotricienne, éducateur, entretiens semi structurés, bilans biologiques et d’imagerie…) qui permet d’élaborer un projet de soin adapté et personnalisé.
Chaque jeune est investi par un éducateur « référent » dont les missions peuvent s’apparenter à la notion de « case management » au sens anglo-saxon, qui désigne un processus de soins, visant à maintenir et améliorer les compétences de la personne dans son environnement, processus de soins qui est multidimensionnel. Je me suis rendue compte qu’en pédopsychiatrie, le « case management » peut être incarné par la fonction de l’éducateur. Sauf qu’en psychiatrie adulte, il n’y a plus d’éducateur, on a des infirmiers et en pédopsychiatrie, on a encore des éducateurs et des infirmiers. 

Y a-t-il d’autres centres comme le vôtre en France ?

Il y en a peu mais l’objectif est que cela se développe. Nous avons créé avec mes collègues la Pr Marie-Odile Krebs et le Dr Guy Gozlan un diplôme universitaire à Paris-Descartes, de Détection et Intervention Précoce des Pathologies Psychiatriques Emergentes du Jeune Adulte et de l’ADolescent (DIPPPEJAD). Deux spécificités du système français font que le repérage précoce n’est pas évident ; c’est une tranche d’âge frontière entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie adulte, d’où le fait de remettre en question nos pratiques habituelles qui sont encore cloisonnées. La tranche d’âge concernée se situe entre 12 et 25 ans, or la psychiatrie adulte démarre à 16 ans et il y a peu d’unités spécifiques 12-25 ans.
Deuxième particularité, nous ne sommes pas uniquement dans la prévention d’une pathologie mais dans quelque chose de plus large avec l’idée qu’on est dans le repérage de pathologies psychiatriques émergentes. Dans ce repérage, on sait que l’enjeu de détection précoce est celui de la maladie schizophrénique, néanmoins, nous savons que les signes précoces sont assez peu spécifiques d’où la difficulté de faire passer le message : avec ces signes, on n’est pas sûr à 100% que le malade va évoluer vers la schizophrénie.

Comment peut-on aujourd’hui détecter des signes de troubles psychiatriques d’un mal-être adolescent ?

La détection est possible grâce à l’opérationnalisation de critères par des échelles sous forme d’entretiens semi-structurés, créés par l’école australienne avec Patrick McGorry (échelle CAARMS) et les anglo-saxons avec Thomas McGlashan (échelle SIPS). L’échelle de la CAARMS pour Comprehensive Assessment of At Risk Mental State a été traduite par l’équipe du Pr Krebs (SHU, Hôpital Sainte Anne). Le fait qu’il y ait des signes précoces n’a rien de nouveau.
On les remarque dans de nombreux écrits depuis les années 1850, notamment ceux d’Emile Kraepelin qui décrivait déjà des perturbations fines de la vie affective et émotionnelle, des troubles cognitifs et de la concentration existant bien avant l’éclosion complète de la maladie. Le début du courant de repérage précoce est d’avoir permis la possibilité d’évaluation quantitative via des échelles d’un risque d’évoluer vers la schizophrénie.
Le travail a été de reprendre par écrit ce qui existait avant la maladie dans les observations des psychiatres, le discours des familles et de par ce que les patients racontaient de leur histoire. Nous sommes dans un processus développemental : la schizophrénie n’est pas quelque chose qui arrive brutalement, ce n’est pas « un coup de tonnerre dans un ciel serein » mais plutôt dans un « ciel nuageux ».
Des études internationales ont montré que si une personne remplissait plusieurs items de l’échelle avec une certaine intensité, une certaine fréquence et avec un retentissement fonctionnel sur le quotidien de ces symptômes… Alors, on avait un risque de 30% d’évoluer vers la maladie schizophrénique dans les deux ans.Tout l’enjeu de la recherche actuelle est donc d’augmenter ce pouvoir prédictif en ayant des groupes plus homogènes de patients qui ont un risque d’évoluer vers un premier épisode psychotique.

Est-ce que les premiers signes sont différents chez l’adulte et chez l’enfant ?

Oui, il y a une variabilité et il y a de plus en plus d’études sur la question du repérage dans des tranches d’âge plus précoces. Les symptômes cognitifs et perceptifs (symptômes de base, en amont, des marqueurs traits, de vulnérabilité génétique) sont l’enjeu d’une forme de repérage qui pourrait être effectué plus tôt. Certains de ces signes seraient témoins d’un dysfonctionnement cérébral et d’autres régresseraient spontanément. La schizophrénie se développe entre 14 et 25 ans.

Pourtant, on lit des témoignages d’adultes atteints de ce symptôme à la suite d’un burn-out…

Ils ont développé la maladie parce qu’ils ont rencontré un type de stress à un moment donné. Mais ils auraient pu fumer du cannabis plus jeunes et faire une transition psychotique. En psychiatrie, on essaie souvent de chercher une cause… « Il est comme cela parce qu’il lui est arrivé ceci… » Cela satisfait tout le monde sur le plan intellectuel, c’est rassurant mais ce n’est rien de plus.
Le déclenchement de symptômes schizophréniques, c’est : une vulnérabilité génétique dont on n’a pas forcément connaissance liée au fait qu’on a eu des antécédents familiaux de schizophrénie ou une personnalité atypique (dite « schizo-typique ») et qui va déclencher une maladie lors de la rencontre avec des facteurs environnementaux (stress, toxiques). C’est sur ces facteurs environnementaux qu’on peut jouer pour éviter que les symptômes se déclenchent ; ce sont principalement le stress et les toxiques (principalement le cannabis) qui agissent sur le processus de maturation cérébrale.
Il faut savoir qu’au moment où le cerveau mature, dans la fenêtre de vulnérabilité qui est entre 15 et 25 ans, grosso modo, il y a ce qu’on appelle un élagage synaptique, ce moment où parmi les synapses qui vont toutes être reformatées, certaines vont disparaître, c’est un processus normal. Mais quand on a une vulnérabilité génétique à la maladie schizophrénique et que l’on rencontre des facteurs de risque, cette élimination se fait de façon anarchique et inadaptée. La connectivité entre les aires cérébrales qui en résulte se fait alors de manière étrange.

Quel est l’objectif de la recherche sur la détection précoce de la schizophrénie ?

L’idéal serait, dans quelques années, que la recherche puisse définir un algorithme comme pour le cancer qui regrouperait plusieurs indicateurs : une imagerie cérébrale qui nous donnerait une photo à temps « t » de la situation (où en est le taux de diminution de la substance grise du cortex préfrontal par exemple), un taux biologique des marqueurs inflammatoires (cytokines, protéines C réactives ultra-sensibles), des éléments cliniques qui seraient quantifiés via des échelles comme le CAARMS. L’ensemble de ces indicateurs pourrait prédire très précisément le risque d’évoluer vers la maladie.
Ce type d’algorithme qui combine plusieurs marqueurs biologico-cliniques existe déjà mais nécessite d’être affiné, optimisé. C’est ce à quoi la recherche s’attelle. Nous aurions une « stadification » des symptômes comme pour les cancers avec des thérapeutiques adaptées à chaque stade. Aujourd’hui, nous sommes sur du repérage clinique essentiellement, il nous faut des cohortes homogènes pour déterminer les substrats neuro-biologiques à l’œuvre. Dans plusieurs années, nous pouvons espérer arriver à des modèles de prédiction individuelle.

Et en matière de formation des professionnels ?

Nous avons besoin de mieux former tous les interlocuteurs en contact avec les jeunes. Est-ce que cela va passer par les médecins scolaires, les psychologues ou par les jeunes directement en termes de niveau d’information ? Je penche pour la deuxième option.Je pense qu’il est illusoire de former les enseignants qui ne sont ni psychologues ni psychiatres. Ils peuvent être formés sur le parcours de soin et nous aurions des centres de références et de détection précoce bien identifiés et accessibles. Nous pourrions, par exemple, donner directement au sujets jeunes des auto-questionnaires accessibles par tablette numérique dans des lieux de soins comme les Maisons Des Adolescents.
Les maisons des adolescents, censées être en première ligne, ne sont pas toutes harmonisées sur la question du repérage précoce. On est sur le deuxième enjeu de santé publique, qui est : « comment insuffler cette notion de repérage précoce auprès de ce qui existe déjà en termes de réseaux » ? Il faut arriver à mettre en commun les savoirs et harmoniser les pratiques sans pour autant gommer les particularités de l’histoire de chaque individu.

Comment cela ?

L’harmonisation des pratiques fait peur car quand on parle de psychiatrie, on parle d’individu, on a peur que la notion de « sujet » « d’individualité » soit gommée, l’histoire personnelle de chacun. Les craintes sont également sur le fait que la recherche de symptômes de façon structurée via des échelles entache la rencontre avec le sujet. L’expérience prouve que la rencontre peut avoir lieu avec la création d’un lien d’une extrême qualité et avec le patient et avec la famille tout en utilisant des outils validés sur le plan international. Le tout est de réussir à en parler simplement.
Les réticences sont majoritairement véhiculées par le corps soignant plus que par les patients ou leurs familles. L’enjeu est pour les soignants de pouvoir faire la gymnastique intellectuelle de faire cohabiter dans un même discours l’actualité scientifique et la particularité psychodynamique de chacun. La responsable du dispositif adolescent où je travaille, le Dr Anne Perret, est psychiatre de formation psychanalytique et nous travaillons au quotidien sur cette question de la pluralité des discours.
Le problème est de faire que le débat soit productif et non une guerre narcissique entre individus. Les thérapeutiques actuelles validées pour ralentir la progression de la maladie nécessitent autre chose que des médicaments. Les thérapies familiales d’orientation systémique et la prise en charge des familles au sens large sont reconnues comme un élément très précieux dans la prise en charge et d’autant plus en prévention. La thérapie familiale a une innocuité complète en termes d’effets secondaires.
Si on a une efficacité en prenant la famille en charge via la diminution du stress qui est un facteur de risque, alors cela devient pertinent. Mais pour cela, il faudra de solides réseaux et des gens formés.
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