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Nicolas Franck petiteJulien Dubreucq est psychiatre  au Centre référent de réhabilitation psychosociale de Grenoble, Centre Expert FondaMental. 

Il travaille notamment sur les problématiques de stigmatisation et participe à différents programmes innovants pour les personnes souffrant de troubles psychiques : il développe en français le programme américain NECT, visant à réduire l'autostigmatisation , et est à l'initiative de "REMED RUGBY", un outil de résocialisation autour du rugby. 

Interview réalisée en février 2020

L'interview de Julien Dubreucq en bref et en vidéo

 En quelques mots,  pourriez-vous nous résumer votre sujet de recherche  ?

Mon sujet de thèse de sciences est sur l’auto-stigmatisation : quel était l’objectif ? Il était de caractériser la fréquence de cette auto-stigmatisation, en France comme dans les autres pays du monde, et les facteurs qui y contribuent.

La stigmatisation, l’autostigmatistaion, qu'est ce que c'est au quotidien pour les personnes souffrant de troubles psychiques  ?

Alors, ce qui va caractériser la stigmatisation, ce sont des expériences de discrimination dans tous les domaines de la vie : le travail et les relations sentimentales surtout, mais les relations avec les professionnels de santé physique comme mentale sont aussi très présentes.
Cela se manifeste aussi de façon beaucoup plus subtile. Ce que nos collègues américains appellent des micro-agressions. C’est l’exposition à des attitudes stigmatisantes, des opinions stigmatisantes au travail, près des amis au lycée… "Les personnes avec schizophrénie, c’est ça, ça, ça…" , ou dans les médias…
Et c’est aussi des changements d’attitude qu’auront les gens lorsqu’on va parler de ses troubles : ils vont se mettre à parler plus fort ou de façon plus lente….
Les personnes vont anticiper : on sait que les stéréotypes-stigmatisants prennent racine dans une construction sociale très précoce, entre 3 et 5 ans. Les jeunes qui vont être atteints de troubles psychiques sont comme les autres. Même s’ils n’ont pas jamais eu d’expérience de stigmatisation, un tiers anticipent des discriminations et 70% vont, du coup, ne pas divulguer leurs troubles par peur d’être stigmatisés.
L’auto-stigmatisation, c’est non seulement le fait d’être conscient des préjugés qui sont présents dans la société contre les gens qui ont une schizophrénie mais aussi de les considérer comme vrais et de se les appliquer pour se décrire soi-même. 

Cette autostigmatisation est-elle générale chez les patients ?

Elle peut être présente chez toutes les personnes souffrant de troubles psychiques et sa prévalence est forte chez les personnes avec schizophrénie.
Globalement, après un premier épisode psychotique, il y a globalement trois mécanismes de réponses :
Certains s’identifient au groupe mais considèrent les représentations comme fausses, ils développent une « juste colère ». Ils vont se dire, comme Patricia Deegan, "c’est faux ces stéréotypes, ca ne me définit pas." 
D’autres pensent que ces stéréotypes sont vrais, concernent les personnes qui ont une schizophrénie et donc, je me les applique à moi-même, c’est l’auto-stigmatisation. 
Enfin, les autres considèrent que les stéréotypes sont vrais mais ils ne s’identifient pas au groupe. Il y a un paradoxe avec l’insight, la conscience d'avoir des troubles : avoir un faible insight permet d’avoir une autostigmatisation moindre.

Pourquoi s’intéresser à l’auto-stigmatisation ?

Parce que l’auto-stigmatisation est associée à pleins d’effets qui sont potentiellement très très négatifs. Déjà le fait que la personne se définisse comme une maladie. « Je suis schizophrène », c'est une souffrance. Ensuite, ça va être associé, justement, à une moindre alliance thérapeutique, ça va être associé à plus de symptômes, à plus de risques de rechute ou de réhospitalisation, moins d’estime de soi, un fonctionnement social moindre, moins de possibilités d’aller vers le travail. C’est un effet qu’on appelle l’effet « pourquoi essayer ?» puisque finalement, à quoi bon ? Si je ne peux pas y arriver, pourquoi j’essaierais ?.

Peut-on intervenir sur l’auto-stigmatisation ?

Oui, parce que ça se change. Les programmes de réduction de d’auto-stigmatisation, ça marche, les soins de réhabilitation, ça marche, les pratiques de rétablissement, ça marche pour réduire l’auto-stigmatisation. Si on régule l’auto-stigmatisation, selon des études suivies pendant plusieurs années, on s’aperçoit qu’on améliore le fonctionnement social, le fonctionnement professionnel, que les personnes bénéficient plus des soins qui leur sont proposés et vont globalement aller mieux, être moins déprimées et avoir moins de risques suicidaires.

Doit-on le faire dès l’annonce d’un diagnostic ?

La responsabilité du clinicien est de réduire les stéréotypes négatifs et d’augmenter les représentations positives.
Ce qui est particulièrement important, déjà c’est de poser un diagnostic, de poser pourquoi on l’a posé, et de l’intégrer directement dans la perspective du rétablissement. Et d’aborder directement avec les personnes le fait que ce diagnostic ne va pas les empêcher de vivre leurs rêves, de réaliser leur vie, d’avoir leur logement, de se marier, d’avoir des enfants si c’est leur projet, de travailler en milieu ordinaire, de poursuivre leurs études.
Ca va être aussi d’aborder avec cette personne les données de la littérature. Pouvoir remettre en perspective les croyances qu’elle peut avoir et pouvoir aussi l’engager après dans différents outils qui existent et qui peuvent permettre de travailler directement sur l’auto-stigmatisation.

Que proposez-vous pour réduire l’autostigmatisation ?

Déjà des pratiques orientées rétablissement au sens large. Plus on va susciter la reprise d’espoir, la reprise du contrôle de sa vie par la personne concernée, la redéfinition d’une identité positive au-delà de la maladie, plus on va faciliter la réduction de l’auto-stigmatisation. C’est la première chose.
La deuxième chose, il existe des outils spécifiques, comme le programme NECT (Narrative Enhancement and Cognitive Therapy, « thérapie cognitive et renforcement narratif »). il s'agit d'un programme développé par une équipe américaine en 2012, NECT vise à réduire l’auto-stigmatisation et son impact pour les personnes vivant avec un trouble psychique. 
Pour en savoir plus : Voir la présentation de NECT par Philip Yanos
Beaucoup d’outils complémentaires sont diffusés
Le but c’est d'abord d’apporter de l’éducation thérapeutique pour contrer les préjugés relatifs aux troubles psychiques. Ensuite, il y a ce qu’on appelle la restructuration cognitive, qui est le fait d’avoir conscience des biais cognitifs - en général qu’on peut tous avoir - et ceux qui sont relatifs à l’auto-stigmatisation et de les discuter. Il y a une partie narration de soi, parce que se raconter c’est se rétablir déjà un peu. Les personnes vont raconter leurs forces et leurs succès par rapport aux problèmes auxquels elles ont dû faire face.  

Quels sont les résultats de NECT ?

On a traduit le programme l'an dernier. Dans le cadre d’une étude de validation portée par le C3R à Grenoble, visant à mesurer son impact sur la réduction de l’auto-stigmatisation, NECT est proposé dans 14 centres référents de réhabilitation psychosociale (13 en France et 1 en Suisse). la recherche est en cours.

Les personnes qui ont un diagnostic et qui aimeraient avoir un enfant se disent souvent que l’enfant risque d’être malade ou qu’ils ne pourront pas s’en occuper. Que pouvez-vous leur dire ?

Déjà qu’ils sont tout à fait en droit d’avoir un désir d’enfant et de s’interroger sur le fait de devenir parent ou pas. Devenir parent est une expérience stressante pour tout le monde. Et tout le monde doit se poser la question de ce qu’est un bon parent.  C’est un parent imparfait mais… parce que le parent parfait n’existe pas. Mais qui va permettre de répondre aux besoins de son enfant.
On peut amener aux personnes le fait qu’on a des données de la littérature dessus. L’immense majorité des personnes avec schizophrénie ou troubles bipolaires et en capacité de s’occuper de leurs enfants dans un ratio comparable à celui de la population générale. C’est une étude australienne de 2012 qui l’a montré.
Après, on peut aborder avec les personnes la question du risque d’hérédité et celle de l’effet des traitements sur la fertilité, les malformations potentielles, les effets métaboliques du traitement, diabète et prise de poids et discuter avec les personnes et leur conjointe, conjointe, du traitement pendant la grossesse. L’objectif est de pouvoir décider ou pas de prendre des médicaments pendant la grossesse, et d’avoir un plan de crise conjoint prêt si on décide de baisser le traitement.
On peut aussi mobiliser éducation thérapeutique, thérapie cognitive et comportementale et gestion du stress pour réduire le stress pendant la grossesse. Et se dire aussi que des parents en bonne santé physique et mentale, ce sont des parents plus dispos pour être en lien avec leurs enfants et des enfants en meilleure santé aussi. On est dans la prévention des troubles.

Et pour le travail ?

On aborde les statistiques sur l’emploi. Globalement, le taux d’emploi, sans accès à des services spécifiques, est faible en milieu ordinaire, de 9%. Mais, avec un accompagnement et soutien psycho-social, on arrive à 50% et pas que dans les pays anglo-saxons, dans les sites français aussi.
On a des groupes d’éducation thérapeutique sur le travail : il s’agit de remettre la maladie à sa juste place et de renforcer la motivation, développer l’estime de soi et la volonté, d’aborder la question des chiffres, des freins du retour à l’emploi et les ressources.
Et on a une équipe d’emploi accompagné (job coaching) depuis 2012.

Quels sont les facteurs favorisant le taux de retour à l’emploi ?

Les éléments centraux : ce n’est pas la maladie qui va décider qui va avoir ou pas un travail, même elle peut bloquer le fait d’arriver à le garder sur le long terme. Mais ça va être surtout les attitudes. L’entourage large de la personne a un rôle. En gros, si le job coach qui va accompagner la personne vers l’emploi y croit, dans ses potentialités de retour vers l’emploi, si tout le monde y croit autour, la personne accompagnée va y croire aussi.

L’attitude des soignants en santé mentale semble stigmatisante : comment améliorer cette situation ?

Vous avez totalement raison. Les soignants en santé mentale ont des attitudes qui sont stigmatisantes. Elles ne sont pas les mêmes que celles de la population générale : ils sont beaucoup moins convaincus de la dangerosité des personnes avec troubles de schizophrénie. Par contre, ils auront tendance à dire : « N’allez pas travailler, vous risquez de rechuter ou vous n’allez pas y arriver ».
Et ils ont une volonté de distance sociale qui est au moins aussi importante que la population générale voire un peu plus marquée pour les psychiatres. Avec, par exemple, le souhait que leurs enfants n’aillent pas dans la même école que ceux d’une personne avec schizophrénie…
Qu’est-ce qui peut jouer ? Ce sont les pratiques orientées rétablissement, les dix conseils pour une pratique orientée rétablissement. Chaque psychiatre ou soignant devrait les avoir et se dire après une intervention avec un usager : «Est-ce que j’ai eu une attitude d’égal à égal ? Est-ce que j’encourage la personne à suivre ses propres objectifs, à gérer elle-même ses problèmes de santé mentale et aller en dehors du système de santé mentale pour réaliser ses objectifs ? 
Il y aussi les caractéristiques des locaux : les cafétérias doivent être partagées, les toilettes aussi, les entrées aussi ; la question du pyjama, elle entraîne forcément une distinction, on est sur une perte de statut social. Une identification pour le coup très négative, ça pose la question de l’utilisation du pyjama et la question de l’utilisation raisonnée de la contrainte, de l’isolement et de la contention. A chaque fois, il faut pouvoir débriefer ces choses-là et  travailler en plan de crise conjoint.

Vous contribuez à un autre projet thérapeutique qui s’appelle REMED RUGBY.  Qu’est-ce que c’est et en quoi ça contribue à la destigmatisation ?

Déjà ce que ça n’est pas : des pilules ou des gens directement assommés par un rugbyman !
REMED RUGBY, c’est un programme de remédiation de la cognition sociale. On va travailler sur toutes les compétences qu’on a pour décrypter les situations sociales et comprendre les intentions des autres et interagir avec eux dans le contexte de la pratique d’une activité physique : le « touch rugby », sans contact physique rugueux puisqu’on est juste touché, qui se joue à cinq.
Après, on va travailler la question des habiletés sociales, la communication avec les autres via un blog, l’organisation d’une journée, où il peut y avoir cent personnes qui est une organisation par les personnes concernées, qui pourront planifier, organiser et accueillir les autres personnes.
Et il y a un volet « lutte contre la stigmatisation ». On va demander aux personnes ce qu’elles souhaiteraient dire aux médias et on va travailler dans des jeux de rôles, interviewer-interviewé avec quelqu’un qui tient la caméra, quelqu’un qui va poser les questions et le groupe qui va répondre… Comment on répond aux questions des journalistes, comment on dit non si on refuse de répondre à des questions. Comment, en fait, on exprime une critique sur la façon dont les médias traitent le sujet sur des personnes avec schizophrénie.
Globalement, les journalistes qui viennent sont très surpris. Ils s’attendaient à couvrir le rugby, et ils repartent avec quelque chose qui dit : « luttez contre les préjugés ».
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