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Nicolas Franck petiteJoël Doré, agronome de formation, est directeur de recherche à l’INRAE.
Il travaille sur le microbiote intestinal et la santé depuis le début de sa carrière de chercheur.
Il est le Directeur scientifique du centre INRAE MetaGenoPolis (MGP) qui étudie l'impact de l'alimentation sur le microbiote intestinal (humain et animal), et l'impact de ce dernier sur la santé et la maladie.

Interview réalisée en février 2020 

Vous étudiez le microbiote, pouvez-vous nous expliquer en quoi ça consiste ?

La plupart des organismes vivants, les arbres comme les êtres humains, sont associés à des microbes.
Le microbiote, c’est l’ensemble des micro-organismes auxquels l’homme est associé et en interaction permanente à partir de sa naissance. Ce sont principalement des bactéries, mais aussi des levures, des phages, des virus et une grande diversité de microbes.
La métagénomie consiste à étudier les génomes de ces micro-organismes qui vivent sur les êtres vivants. On étudie donc l’individu avec son génome dans un écosystème plein d’organismes qui ont chacun leur génome.
Pour un individu qui va avoir à peu près 23 000 gènes humains, avec à peu près 200 espèces de bactéries, on est capable de compter 600 000 gènes par individu : à peu près 25 fois plus en fait.

Quelle relation y a-t-il entre le microbiote intestinal et la santé ?

Notre domaine de recherche ici, c’est le microbiote intestinal et son importance dans la santé et la maladie.
On observe une augmentation de l’incidence d’un grand nombre de maladies chroniques depuis les années 50 et on a pu documenter une altération du microbiote (dite « dysbiose ») chez les patients par rapport aux individus en bonne santé.
On a pu établir des liens d’abord en gastroentérologie comme dans la maladie de Crohn ou la rectocolite ulcéro-hémorragique, puis dans les maladies métaboliques (obésité, diabète), et dans les maladies hépatiques.
Puis est venue la neurologie, et plus récemment les maladies neuropsychiatriques.
Dans toutes les maladies, on commence par documenter que le microbiote est différent. Une deuxième étape est d’établir une causalité. Pour cela, on transfère chez l’animal un microbiote d’un individu malade vers des individus sains et on voit si cela crée les symptômes de la maladie chez eux.
Une troisième étape est de tenter de traiter les individus malades en leur transférant à l’inverse un microbiote sain.


Que sait-on pour les maladies neuro-psychiatriques ?

Depuis 2000, on sait que « l’intestin parle au cerveau » à travers les fonctions du microbiote.
Ce que la science nous dit aujourd’hui c’est que, l’on a, très souvent, la possibilité d’observer une altération du microbiote intestinal dans les maladies neuro-psychiatriques quand on compare des patients et des sujets sains.
Par exemple 15% de la population en moyenne va consulter pour des symptômes intestinaux marqués, souvent avec un diagnostic de syndrome de l’intestin irritable
Mais dans l’autisme, on sait que c’est 50%, et dans la schizophrénie, où c’est encore très mal documenté, ce serait 30%.

Par quel voie le microbiote intestinal agit-il sur le cerveau ?

Des observations récentes nous disent qu’on a non seulement une altération du microbiote intestinal mais qu’on a aussi très souvent une symptomatologie intestinale, avérée ou latente à laquelle est associée une augmentation de la perméabilité et une inflammation intestinale. On a pu documenter qu’une altération d’une relation entre l’individu et ses microbes au niveau intestinal et notamment, l’installation d’une perméabilité intestinale ou d’une hyper-perméabilité intestinale, plus une inflammation et souvent du stress oxydatif, vont avoir une incidence sur la perméabilité au niveau des vaisseaux sanguins dans le cerveau et potentiellement libérer dans le cerveau des procédés inflammatoires, induire une neuro-inflammation qui elle, va altérer le fonctionnement du système nerveux central. Donc, le schéma que l’on construit aujourd’hui est plus complexe que simplement une association entre une altération du microbiote et la pathologie.

Quelle portée peuvent avoir ces recherches pour les patients souffrant de schizophrénie ?

Aujourd’hui, la recherche est débutante.
Dans la schizophrénie, on a pu montrer la dysbiose du microbiote intestinal, et dans certains cas une relation entre la pathologie et l’altération de la perméabilité intestinale et l’inflammation intestinale.
Ce que l’on documente, c’est que, potentiellement, ces altérations-là s’entretiennent ou peuvent s’entretenir et donc, peuvent être des éléments qui vont être moteurs d’une chronicisation.
On travaille là-dessus car si on a un cercle vicieux, on aurait 4 leviers à actionner : le microbiote, la perméabilité intestinale, l’inflammation et le stress oxydant.
Et, sur cette base, on peut espérer dans l’avenir changer la donne
En termes de diagnostic, la prise en compte du microbiote intestinal tout seul est assez limitée, de même que la prise en compte de l’inflammation toute seule. Par contre, une présence concentrée des différents paramètres, microbiote, perméabilité intestinale, inflammation, potentiellement stress oxydant, serait un outil nouveau et plus puissant en termes de diagnostic.
Et puis, en termes de prévention et de traitement, on peut également imaginer qu’intervenir seulement sur le microbiote, serait réducteur, intervenir seulement sur l’inflammation serait également limité. Par contre, intervenir à différents niveaux de ce potentiel cercle vicieux de l’intervention de ces différents éléments ouvrirait des pistes de thérapie nouvelle.
Ce sont des hypothèses de travail qui demandent à être plus documentées.

Actuellement, a-t-on déjà des résultats ?

Oui sur un point.
Les traitements pharmaceutiques pour la schizophrénie n’ont pas beaucoup évolué depuis quelques décennies, mais on ne s’est pas vraiment donné les moyens d’étudier les relations entre les médicaments antipsychotiques et le microbiote.
Or il y a des choses à comprendre sur la façon dont le médicament peut agir sur le microbiote, et inversement sur la façon dont le microbiote peut agir sur le médicament pour en potentialiser ou au contraire en annihiler les effets.
Une publication allemande a montré que sur 40 microbes et des médicaments parmi lesquels des antipsychotiques, il y avait des tas d’interactions.
Un autre publication nordique récente a montré que le microbiote intestinal, sa composition, est associée à une bonne réponse au traitement ou non. Certains patients atteints de schizophrénie ont en effet des microbiotes normaux, d’autres ont au contraire un microbiote altéré. L’étude montre que parmi ceux qui ont un microbiote altéré, 28% seulement répondent bien au traitement alors qu’ils sont 70% parmi ceux dont le microbiote n’est pas altéré.
Comme pour l’immunothérapie dans le cancer, le microbiote intestinal pourrait ainsi être prédictif de la réponse au traitement

Est-ce qu’il y a des maladies neuropsychiatriques où les interactions microbiote-cerveau sont plus documentées que dans la schizophrénie ?

Concernant les pathologies neuro-psychiatriques, (autisme, schizophrénie, troubles bipolaires, dépression), c'est dans l'autisme qu'on a le plus d’informations. Et notamment, on a, dans l’autisme, parcouru un petit peu toute une chaîne de travaux de recherche, qui vont de la mise en évidence d’une différence dans la composition du microbiote, la dysbiose, puis la mise en évidence de la possibilité de reproduire les symptômes de la maladie sur un modèle animal quand on transfère un microbiote du patient versus d’un sujet sain vers un animal modèle. On est même allés, dans l’autisme, vers des travaux qui consistent à essayer de voir si l’on peut diminuer des symptômes par du transfert de microbiote intestinal de l’homme à l’homme, des individus de bonne santé vers des patients. On a notamment un travail qui a montré, dans ce contexte-là de l’autisme, que le transfert de microbiote d’un individu sain vers un patient ouvre la possibilité d’éliminer les symptômes intestinaux quand ils sont présents et de corriger la pathologie elle-même. Un travail américain a tout récemment montré que sur une petite cohorte d’une vingtaine d’individus, on passe de 80% de patients avec un autisme sévère, à moins de 20% de patients deux ans après le transfert de microbiote.

En France, combien de chercheurs travaillent sur cet axe microbiote et cerveau ?

Alors, on doit avoir en France une petite dizaine de groupes de recherche qui s’intéressent à ce sujet sur des aspects plus ou moins fondamentaux ou plus ou moins en lien direct avec le patient en clinique. Cela représente, on va dire, une vingtaine d’individus qui s’intéressent à la relation entre le microbiote et le cerveau.

Est-ce facile d’avoir des financements dans ce domaine de recherche en France ?

En fait, non. Selon les maladies auxquelles on s’intéresse, c’est plus ou moins simple, ou plus ou moins compliqué d’avoir un financement. Pour la neuropsychiatrie, c’est particulièrement compliqué. Ma vision des choses est qu’on est dans un contexte où l’on hérite d’une école de pensée, qui est une école de pensée psychanalytique, où le cerveau est un objet à part, un peu déconnecté du reste de la biologie humaine. Moi je suis chercheur et je le dis sereinement : cette école ne voit pas l’intérêt de la biologie pour le cerveau, c’est assez inquiétant.
La neuropsychiatrie a du mal à intégrer la neurobiologie en termes de diagnostic, de prévention et de traitements. Et on peut dire aussi que ça ralentit la recherche. Et notamment, pour ce qui me concerne en tant que microbiologiste, pour rechercher quelle est l’importance de la relation entre un individu et son microbiote sur les dérèglements du fonctionnement neuro-psychiatrique. Par contre, quand on commence à travailler dessus, on sent au niveau de la société une réactivité incroyable. Tous les témoignages de patients et de familles que je reçois pour l’autisme me confortent dans la vision que j’ai que la biologie joue un rôle. Il faudrait qu’on puisse avancer car sinon, il va falloir attendre que les Chinois ou d’autres fassent ce travail et ensuite les payer en bénéficier.

Est-ce que globalement, les psychiatres cliniciens s’intéressent à vos recherches sur le microbiote en matière de psychiatrie ?

Quelques-uns, très peu.


Avez-vous des relations avec les chercheurs opérant sur d’autres aspects de la recherche sur la schizophrénie ?

Les recherches sont, pour l’instant assez séparées, malheureusement. Mais c’est une question, vraiment, très très importante. On a des collègues en génétique qui montrent que certaines altérations génétiques sont associées à un risque accru de développer la maladie. On a nos travaux sur le microbiote intestinal qui montrent que, effectivement, l’altération de la relation entre l’individu et le microbiote et les symptômes intestinaux sont, potentiellement, des facteurs aggravants associés. On a des collègues qui travaillent sur des composés toxiques de l’environnement, de l’alimentation qui peuvent interférer avec le bon fonctionnement au niveau du cerveau. A mon sens, il est vraiment important que l’on sache trouver les moyens de rapprocher ces communautés, notamment stratifier les patients et parvenir à, finalement, adapter la prise en charge et la proposition de traitement.

A défaut de solutions immédiates dans la schizophrénie, quelles recommandations générales que pouvez-vous faire pour avoir la meilleure santé mentale possible ?

 
Si j’étais médecin, je serais interdit d’exercice après vous avoir dit ce que je vais vous dire. Mais je suis chercheur et je n’ai pas de patient ! Donc, les recommandations qu’on a envie de faire quand on est micro-biologiste de l’intestin avec la connaissance actuelle de la science, c’est simplement de reconnaître que l’on est microbien et que, donc, l’on va pouvoir s’aider soi-même en nourrissant bien son microbiote intestinal. Et les moyens d’agir, c’est, directement sur le microbiote, lui apporter de l’énergie.
Et ça, c’est principalement diversifier les fibres alimentaires, en ingérant des fruits et légumes, en quantité mais aussi en qualité et en diversité. Plus que 5 fruits et légumes par jour, c'est plutôt 25 fruits et légumes différents par semaine qu'il faudrait viser.
Le deuxième bénéfice qu’on a en variant les fruits et légumes, c’est qu’on apporte aussi des petites molécules aromatiques qu’on appelle les polyphénols, qui sont anti-oxydants et anti-inflammatoires.
Quelquefois les problèmes inflammatoires sont liés à une réactivité un petit peu forte de nos défenses naturelles contre des composés alimentaires, le plus souvent la caséine ou le gluten, parfois le soja. Cel apeut arriver si on a eu une infection, un traitement antibiotique par exemple qui a installé une altération du microbiote. Le syndrome de l’intestin irritable, c’est ça. Il y a une intolérance qui s’installe, parce que l’immunité, c’est-à-dire la mémoire du pathogène ( comme pour le vaccin), le système immunitaire est dressé à réagir et combattre. S’il y a cela pour le gluten, dès qu’on mange du pain, ça va créer de la perméabilité intestinale, de l’inflammation (et ça peut créer de l’anxiété etc.). Et donc, on peut essayer d’exclure de l’alimentation ces composés-là.
Et, sinon, il y a des composés intéressants parce qu’ils sont actifs au niveau de la perméabilité intestinale : la glutamine, par exemple, et les Oméga 3 poly-insaturés. On peut agir, aussi à travers des probiotiques qui sont actifs sur la perméabilité intestinale. On trouve naturellement des probiotiques dans les yaourts ou les produits fermentés en général : choucroute crue, produits laitiers fermentés, Kefir, Kombucha, tout ce qui apporte des microbes vivants. Mais en plus, c’est le cas, je vais donner des noms barbares, de la lactobacillus plantarum 299B. La lactobacillus rhamnosus GG ou bien Saccharomyces boulardii, la levure de l’ultra-levure, sont eux actifs à la fois sur la perméabilité - un petit peu - l’inflammation, beaucoup, et un petit peu sur le stress oxydant, ce sont des composés, des compléments alimentaires qui sont intéressants à essayer. Pour ces composés, il n’y a pas d’effet secondaire reconnu contrairement à beaucoup de médicaments. Par contre, on sait que tout le monde ne va pas répondre de la même façon, en partie parce que nos microbiotes sont plus ou moins permissifs. On ne peut que conseiller de faire l’essai. Il faut attendre trois ou quatre semaines pour avoir les bénéfices, par contre, si on a les bénéfices, ça va potentiellement être durable et donc, c’est une clé intéressante à utiliser. 
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