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Mia MA a réalisé le film "Fréquence Julie". Auparavant,  elle avait réalisé "Riz cantonais", un documentaire tragi-comique sur la complexité du métissage. Parallèlement à son chemin de cinéaste, elle travaille comme technicienne dans l’univers du doublage.


Comment vous êtes-vous connues Julie et toi ?

Grâce à une amie commune, qui nous avait réunies pour un voyage à Dakar. Nous avions la vingtaine et c’était il y a vingt ans.

Quand as-tu réalisé sa maladie ?

Avant que je la connaisse, Julie avait connu de grosses crises et des hospitalisations, que d’autres proches amis à elle ont vécu de très près, contrairement à moi. Au moment où nous sommes devenues amies, Julie allait bien. J’étais au courant qu’elle était diagnostiquée schizophrène parce qu’elle m’en avait parlé, mais je ne la percevais pas comme malade. J’ai perçu son trouble plus tard, quand elle a à nouveau traversé des crises, pendant lesquelles il est arrivé qu’elle me téléphone, paniquée. La maladie devenait alors tangible, de la même façon que quand j’allais la voir à l’hôpital.


Quel souvenir as-tu de sa prise en charge d'alors ?

Je la voyais dans le jardin ou à la cafétéria de l’hôpital. J’en garde une image vague… Je me souviens d’hôpitaux très fermés et d’autres plus vivants. Julie semblait moins en souffrance dans les lieux plus ouverts, où étaient organisées des activités, où il se passait quelque chose dans la journée.


Quels sentiments avais-tu à l'égard de Julie ? 

Je la voyais en profonde souffrance, ralentie par les médicaments, entourée de personnes qui n’avaient pas l’air d’aller très bien non plus. Je me souviens m’être demandée ce qu’elle allait devenir, comment elle pourrait s’en sortir. Je me sentais impuissante. 
Mais j’ai toujours perçu que Julie gardait de la vie en elle. Même dans les pires hôpitaux, elle a gardait son sens de la camaraderie et de la sociabilité. Il lui est arrivé d’interviewer ses compagnons de chambre, et ça riait beaucoup ! 


Puis il y a eu une rechute durable, que s'est-il passé  ?

Julie en parlerait mieux que moi, mais il me semble que le décès de sa mère a été déclencheur. Elle a rechuté. Elle sortait très peu de chez elle, était assommée par les médocs, et voyait très peu de gens. C’était au moment où beaucoup de ses amis avaient des enfants en bas âge et étaient moins disponibles. Julie était alors confrontée à une grande solitude tout en ayant un grand désir de devenir mère elle aussi, alors qu’elle était au plus mal…


Et c'est là justement que toi, tu as commencé à la filmer. Quand tu lui as proposé, quel était ton objectif ?

D’abord je la trouvais belle, pas belle comme Monica Bellucci ou Béyoncé, mais belle dans les mille nuances de sa voix, dans sa lumière et son obscurité, sa présence, sa forte singularité, belle comme quelqu’un qui selon moi avait beaucoup de choses intéressantes à raconter. J’avais dès le départ l’envie de la sublimer. La base, c’était mon admiration pour elle, et mon désir de poser mon regard de cinéaste sur une femme qui a l’aura d’une actrice.
Le film est aussi né de mon inquiétude, comme une tentative de la sortir un peu de l’enfermement. Cela n’avait pas d’ambition thérapeutique, c’était juste une manière de tenir, pour moi d’arriver à la regarder paisiblement, via la caméra, et pour Julie, que la caméra ouvre une fenêtre, la projette dans l’avenir. Avant tout, je voulais tracer une voie pour rester ensemble. Un film, cela impliquait un travail à continuer, quelque chose à poursuivre, même si au début on ne savait pas où ça nous mènerait.
 

Qu'as-tu demandé concrètement à Julie ?

Juste de venir chez elle comme d’habitude, mais avec une caméra en plus. Au début je venais toutes les semaines pour instaurer une routine. 
Quand je venais filmer, on discutait pendant que j’installais le matériel. J’arrivais avec quelques idées, mais ma compétence a surtout été de vivre le moment présent le plus intensément possible, de m’adapter aux limites de Julie, de sentir ce qu’elle cherchait elle aussi avec ce film. Je lui disais de s’exprimer comme elle le sentait. 

Etait-il facile d'interviewer Julie alors qu'elle était en crise ? 

Ce qui était difficile quand Julie était très médicamentée, c’était de contourner les moments où, pour compenser son apathie, elle surjouait le jeu de la normalité


Le jeu de la normalité ? C'est à dire ?

C’est-à-dire un discours stéréotypé, des phrases toutes faites qui ne lui appartiennent pas, qui la sortent de sa subjectivité. Dans un rush du film qu’on n’a pas gardé, de but en blanc devant ma caméra, elle se met à parler de son enfance, alors elle n’est pas très consciente, elle parle de façon robotique, comme si elle débitait ce qu’elle imaginait que j’attendais d’elle. 
Tous ces moments où elle « robotisait » n’avaient pas d’intérêt alors que je cherchais sa vérité. Le processus du tournage a consisté en partie en ce travail d’amener Julie vers sa propre subjectivité.


Comment le film a-t-il prit sa forme finale ?

Je crois que le film a commencé à prendre sa forme quand Julie allait beaucoup mieux, et que je me suis sentie rassurée sur le risque que nous prenions pour sa santé mentale à ce que le film dévoile des éléments très personnels de sa vie. Il devenait par exemple possible d’imaginer aborder les traumatismes de son enfance. Le film s’est aussi confirmé dans sa forme une fois qu’on a assumé que la relation d’amitié entre Julie et moi en faisait entièrement partie. Mais le film suit le mouvement de Julie, mon cheminement de réalisatrice, et la chronologie du tournage : de l’errance, de la solitude jusqu’au rétablissement.


Le film a-t-il facilement trouvé un producteur ?

Non, pendant longtemps, personne n’en voulait.


Parce qu'il traite de schizophrénie ?

Non, en tout cas, cela n’a pas été exprimé explicitement. D’ailleurs, dans le film, le mot schizophrénie n’intervient qu’assez tard, aux trois-quarts du film, et dans la bouche de la journaliste de RFI qui interviewe Julie. Mais le fait est que le producteur finalement rencontré est lui-même concerné de près par la maladie mentale.


Comment le film a-t-il été perçu par les proches de Julie ?

Très bien, aussi bien  par ses frères que par ses amis les plus intimes. Julie craignait de trop exposer sa famille et nous avons bien fait attention à ça. Parfois, auprès de certains amis qui s’étaient éloignés de Julie, le film a pu créer de la culpabilité, alors qu’évidemment ce n’était pas du tout le but. Le film a rappelé certains à une image de Julie qu’ils avaient oubliée et à leurs sentiments d’alors. C’est extrêmement douloureux et difficile d’être confrontés à la schizophrénie d’une personne qu’on aime. Quand on est très proches, ça marque, surtout quand on est jeune adulte. Le film raconte un pan de seulement quelques années de la vie de Julie, qui tout au long de son parcours a été soutenue par de nombreuses personnes. Moi je suis arrivée plus tard et j’ai pris le relais d’autres. Et la place de l’amitié de Julie et moi dans ce film a été pensée comme une allégorie du pouvoir de l’amitié dans son universalité.


Julie est aujourd'hui rétablie. Quelle part ce film et ton amitié y ont-ils pris ?

C’est difficile à dire. Je crois que le rétablissement de Julie a tenu à plusieurs facteurs. Bien sûr, mon regard confiant, attentionné et valorisant l’a soutenue tout au long de ces années. Bien sûr, le fait pour Julie de se voir sur grand écran et de se trouver belle, aussi. Mais il y a eu comme je le disais tout un relais de soutiens, ses frères qui l’ont poussée et tractée, le centre Mogador qu’elle a fréquenté un temps, l’amie qui l’a connecté à son boulot à l’EHPAD où elle travaille aujourd’hui, ses collègues qui l’entourent bien, son couple et maintenant son bébé. A différents moments, elle a pu s’accrocher à plein de petites branches. Mais c’est surtout grâce à elle-même : à sa profonde générosité, à sa grande intelligence, à son humour à toutes épreuves, et avant tout à son immense courage !


Et la prise en charge en psychiatrie  ?

Je peux juste dire que j’ai été choquée que Julie ne voie pas le psychiatre plus régulièrement – elle en aurait eu besoin chaque semaine - et que ce ne soit pas uniquement pour les médocs. Choquée aussi du manque de foi en son avenir renvoyé par les médecins en général.


Considères-tu que tu as fait un film militant ?

En tous cas ce n’est pas un manifeste anti-psychiatrie. D’ailleurs Julie n’a jamais arrêté de prendre deux médicaments par jour. Je dirais plutôt que si le film porte un discours, ce serait sur la propre expertise de Julie. Et si le film devait être défini comme militant, je dirais qu’il milite pour la patience, patience envers les personnes malades, les personnes en crise, les personnes en rechute. « Patience » est un mot que Julie a récemment utilisé alors qu’une journaliste lui demandais quel conseil elle donnerait à l’entourage d’une personne schizophrène. J’ai trouvé ça très pertinent. Tout récemment en Belgique, un jeune est venu nous dire avec beaucoup d’émotion à quel point le film lui donnait de l’espoir, et cela arrive à chaque fois qu’il y a des personnes concernées par la maladie mentale dans la salle. Si je me projette en arrière, c’est exactement cela que je voulais, présenter Julie au monde entier ! Ce serait à refaire, je ne changerais rien. D’ailleurs si le film a contribué au rétablissement de Julie, lui et Julie ont aussi contribué à rétablir des choses en moi évidemment, ce qui me fait penser qu’il faudrait que j’en parle à ma psy…


Et maintenant, quels sont tes projets ?

Tenter de dégager du temps de cerveau disponible pour réfléchir à d’autres films ! J’adorerais aussi imaginer d’autres projets avec Julie, car on adore faire des trucs ensemble, un peu comme deux enfants qui bricolent. Mais Julie a aujourd’hui une vie très remplie et il faudrait pouvoir rallonger les journées d’au moins douze heures pour y arriver.

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