Des nanoanticorps de lama pour traiter la schizophrénie ?????
Est-ce bien sérieux ?
Y a t il une vraie avancée derrière cette annonce d'apparence farfelue, publiée en juillet dernier dans la revue Nature par des scientifiques du CNRS, de l’Inserm, et de l’Université de Montpellier, et largement relayée par les médias ?
Et oui, c’est très sérieux !
Et non, ça ne va pas changer la vie des personnes atteintes de schizophrénie avant plusieurs années ...
C’est ce que nous a exposé le Professeur Jean-Philippe Pin, directeur du laboratoire de recherche « Génomique Fonctionnelle », à Montpellier où ce sont déroulées les recherches
Tout d’abord, quel rapport entre les lamas et la schizophrénie. Peuvent ils en être atteints comme des humains ?
Jean-Philippe Pin (J-PP) : Non, pas du tout ! Le début de l’histoire est inattendu mais ensuite, tout s’est déroulé logiquement : je vous raconte.
Des étudiants belges visitaient un laboratoire de recherche et devaient visualiser des anticorps. L’enseignant demande un volontaire pour donner un peu de son sang. Tous refusent. Il va donc récupérer un échantillon de sang stocké au laboratoire et les étudiants procèdent à l’expérience.
Et là, grosse surprise : s’ils trouvent bien des anticorps « normaux » ils en détectent en plus une forme inconnue jusque-là, qui a les mêmes fonctions mais beaucoup plus petite : des nanoanticorps. Le sang utilisé etait du sang …. de chameau.
Les lamas sont très proches des chameaux et on en trouve plus facilement en France (pour l’élevage ou les parcs de loisirs). Ils produisent aussi, naturellement des nanoanticorps.
Fait-on souffrir les animaux ?
(J-PP) Non, on a juste besoin d’une prise de sang. Les cellules sanguines qui fabriquent les anticorps sont ensuite utilisées au laboratoire pour isoler les morceaux de gènes codant pour les nanoanticorps.
Quel est l’interêt d’avoir ces nanoanticorps ?
(J-PP) On a tous entendu parler des immunothérapies qui ont révolutionné ces dernières années le traitement de nombreux cancers, mais aussi de maladies articulaires, de la peau, ou encore digestives. Ces thérapies utilisent des anticorps pour bloquer ou activer des réponses immunitaires.
Mais ces anticorps ne peuvent pas être utilités dans les maladies du cerveau car ils ne passent pas la barrière qui le protège.
On voit bien l’intérêt des nanoanticorps qui, avec leur très petite taille, vont pouvoir pénétrer dans le cerveau et agir sur des cibles très spécifiques
Donc, toutes les maladies du cerveau pourraient potentiellement être traitées par ces nanoanticorps ? Les tumeurs, l’épilepsie, la maladie d’Alzheimer
(J-PP) On en est au tout début et beaucoup reste à faire mais en théorie, oui, ce pourrait bien être la même révolution qu’en oncologie.
Pourquoi avez-vous travaillé sur la schizophrénie
Depuis 40 ans, avec mon équipe, nous travaillons sur certains récepteurs d’un neurotransmetteur, le Glutamate. On sait que, par exemple, qu’il y a une « tempête glutamatergique » lors des épisodes psychotiques aigus.
On en ignore les causes, probablement très diverses, mais une dérégulation glutamatergique est associée aux schizophrénies.
Nous savons « éduquer « nos nanoanticorps à se fixer très précisément sur certains récepteurs du glutamate, soit pour les bloquer, soit pour les activer.
Nous avons réussi à montrer qu’ils passaient effectivement la barrière qui protège le cerveau.
Chez des humains ?
(J-PP)Non, pas encore. Chez la souris. Nous avons utilisé des souris génétiquement modifiées qui développent des comportements qui ressemblent aux troubles cognitifs qu’on voit dans la schizophrénie et un modèle où on déclenche une « schizophrènie », avec une drogue (la fameuse « poussière d’ange »).
Dans les deux cas, le comportement des souris qui reçoivent les nanoanticorps devient celui des souris « normales »
A quand les premiers essais chez des humains ?
(J-PP) En fait, ces nanoanticorps sont déjà utilisés chez l’Homme, par exemple dans des maladies vasculaires. On sait ainsi qu’il n’y a pas de problème majeur d’effets indésirables en comparaison avec des anticorps de grande taille.
Pour les maladies du cerveau, en particulier pour le traitement des schizophrénies, des discussions sont en cours avec des laboratoires pharmaceutiques. Ce sont eux qui ont les compétences et les moyens financiers pour assurer le développement chez l’homme. Donc pas tout de suite.